Recherche

Autres articles dans cette rubrique

Collection « Poiesis »

Marc Blanchet
72 pages, 14 x 21 cm
ISBN 978-2-87317-562-7
15 €, 2021
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873175627.xml

Un livre de poésie où toute l’ironie d’une parole au présent est traversée par une lucidité et une hardiesse confondantes. S’il ne s’en tenait qu’au titre, le lecteur se tromperait sans doute d’entrée. Il ne s’agit ni d’une évocation consensuelle ni d’un chant évoquant le pays d’origine. Cette suite poétique cherche moins à mettre de l’ordre qu’à saisir le désordre de la vie telle qu’elle peut se vivre à notre époque. En arrière-plan de cette analyse des jeux et des enjeux du monde, la dimension autobiographique dissimule une ironie lucide et sans complaisance. Plus encore, ce qui devrait retenir au plus haut point le lecteur est l’exigence de devoir s’arrêter longuement sur chaque poème, aussi bref soit-il, enfin d’en explorer les diverses coutures, car l’art de Marc Blanchet est bien de révéler un monde que l’on ne peut décliner en quelques formules : « Temps nouveaux, écrit-il. La faim n’a plus de quoi mordre. / Quelle leçon pour la moindre révolte ! / Bouche close / Abandonnez-vous à cette vérité : / La colère ne nourrit plus son homme. »

Marc Blanchet est né en 1968 à Bourges. Écrivain, essayiste, photographe et dramaturge, il est également chroniqueur, rédacteur, intervenant littéraire et musical de même qu’enseignant. Il vit actuellement à Tours et a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages. La Lettre volée a publié de lui des « proses fantastiques » : L’Éducation des monstres (2009), Méditations et autres brièvetés (2013) ainsi que Valses et enterrements (2018) mais aussi un essai : Souffle de Beckett (2018).

https://poezibao.typepad.com/poezibao/2021/03/note-de-lecture-marc-blanchet-le-pays-par-philippe-di-meo.html?fbclid=IwAR0wAbjoETI0i29FInu0GdbAX5dQeg8CC4Zhs1f1XXurfduVAyKKMcK1rfk

Et de Michaël Bishop :

Comment envisager une convergence de la futilité et de la poésie ? Équation inimaginable, même impossible, dirait-on peut-être, car comment réconcilier un poïein, un faire, et son inconcevable démolition ? Le Pays est le site d’une telle tension, d’une certaine absence au cœur d’une inscription de cela qui, fatalement, me semble-t-il, en excède les signes. Car comment signer une solitude quand le livre s’adresse, flèche d’un archer zen, il est vrai, à son lecteur, sa lectrice, sans visage, mais là ? Quel est le statut d’un désespoir, d’un abattement, qui installe une parole qui, d’une page à l’autre, déplie non seulement les fragments d’un contre-argument censé, nous dit le poème, peu valide, mais aussi ce qui sous-tend celui-ci, implicite, inaudible ? Peut-on, en fin de compte, “jeter bas ce qu’on est / Ce qu’on sait vif de sens” ? Le poème, saurait-il acquiescer à son propre silence, son propre manque, se suicider en quelque sorte ? Le Pays offre certes le récit de la problématique d’une impuissance, d’un sentiment de soumission généralisée, implacable et presque irrésistible. Face au pouvoir de l’état, d’un état poliçant, armé, tout-puissant, l’individu se sent démuni, dépossédé de ces précieux droits civils jugés jusqu’ici incontournables. Et toute révolte ici est, selon les apparences, comprise comme “touch[ant] à son terme”, ceci dans un pays où elle “s’inventa dans le sang”. Pays où la démocratie aurait perdu son cratos, le pseudo-demos que serait l’assemblée nationale ayant “voté [le mal], / Chacun s’y compla[isant]”.

Que faire, en effet, au-delà de telles flagrances, et malgré elles ? Les valeurs que l’on chérit, ne persistent-elles pas, quelque part, à s’infiltrer dans ce que les mots peuvent sembler masquer ? La poésie, nous dit Jean-Luc Nancy, est toujours et surtout “résistance”. Et ceci contre tout ce qui risque de la submerger dans ce monde si finement ironisé par Michel Deguy, si visionnaire pourtant dans les interstices de sa critique. La forme ne saurait pas suffire sans doute à elle seule. Les petites strophes du Pays, de 1 à 7 vers, non rimés, de longueurs variées, orchestrant leur sobre et mélancolique énonciation, ne semblent pas porteuses de compensation esthétique même si on peut en lire en elles les traces fantomatiques. La beauté de la terre, dit Blanchet, si sensible pourtant à ses moindres lueurs dans son travail de photographe, “ne sait plus écrire / Les choses en leur nom”. Le chant poétique semble ainsi exclu dans un “Pays dans sa robe usée / Avec le monde autour. / Et cela vaudrait chanter ?” L’ironie perce, parfois visiblement amère, et n’hésite pas à s’adresser à celui qui s’en sert. Même l’idée de la force “illuminante” de cette protestation que représenterait Le Pays est écartée comme chimérique. Maudire et cracher s’avèrent à leur tour inefficaces : on finit par “voir cela / Retomber / En flocons”.

Et pourtant, le poème s’affirme comme tel, n’incline pas la tête, résolu à respecter les valeurs qui le propulsent, au-delà de tout ce qui paraît les écraser. En cela, il devient cri, thrène, site d’un thréomai, “poussant de grands cris”, cris d’implicite et tragique deuil, cris d’une vaste et explosive énergie. D’un poïein, d’un faire, refusant de se cantonner dans des préconceptions génériques et, surtout, de supprimer la voix qui sait à peine ce qu’on peut dire face à ce qu’on vit. Mais toute grande poésie ne se soucie que très peu de la stricte logique de sa parole, sachant qu’elle échappe par définition à toute catégorie cherchant à l’enfermer quand elle, elle se sait acte et lieu d’illimitation, quant à sa forme comme à son fond. L’énergie de la poésie est libre et libératrice. Elle ne s’inquiète pas de la réception qu’elle aura ; celle qui compte, c’est l’accueil que lui offre la voix du poème qui surgit, et qui, quelque part, contre toute attente, productive, génératrice, fertile, refait le monde, lui offre une demeure mortelle mais axée sur une altérité imaginable. C’est ainsi que Le Pays transcende les forces qui sembleraient prêtes à l’étouffer. C’est ainsi qu’une beauté,“‘improbable”, toujours, dirait Yves Bonnefoy, s’inscrit, secrètement, énergiquement, instinctuellement, nécessairement, dans les archives d’une existence collective, de cet “être-avec” dont parle Nancy et que trace le poème.