Collection « Lettres »

Laurence Skivée
192 pages, 15 x 21 cm
ISBN 978-2-87317-604-4
21 €, 2022
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Quel est le lien entre le nettoyage d’une maison et l’acte d’écrire ? Quel est le lien entre ce chiffon qui est passé et les souvenirs qui remontent ? Quel est le lien entre un laveur de vitres et une femme qui cherche avec les mots à dire le monde ? Le mot, la force et la beauté du mot, qui nettoie les pensées, qui fait entrer la lumière, qui dit le monde extérieur et le monde intérieur, qui rend intime l’extérieur et qui permet de faire sortir l’intime de soi. (Emmanuel Régniez)

Laurence Skivée (Liège, 1973) artiste et autrice, vit et travaille à Bruxelles. Après des études en photographie à Saint-Luc puis en pratiques artistiques à l’École de recherche graphique (Bruxelles), elle expose régulièrement son travail, se produit à l’occasion de performances et produit des livres d’artiste. En 2013, elle publie son premier livre d’artiste, Je m’emballe, aux éditions de La Lettre volée et son premier texte chez ce même éditeur à l’été 2018 : L’air est différent. Elle a également publié Diaphane s’installe et Piétons traversez aux éditions de L’Âne qui butine en 2021.

Recensions de Camille Tonelli in : https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/12/28/skivee-le-laveur-de-vitres/

Dans "Le laveur de vitres", bref récit publié aux éditions de La lettre volée, Laurence Skivée décrit à grand renfort de silences et de blancs sur la page une expérience du deuil et du dire, le texte ne dévoilant ses vérités qu’au travers de l’idylle muette et platonique entre la narratrice et un jeune laveur de vitres.

À l’âge de quarante ans, la narratrice, artiste confidentielle et maniaque par éducation, se livre à la lenteur et à la paresse. Pour l’y aider, elle choisit de recourir aux services d’un jeune laveur de vitres. Quoique ignorant tout de lui, jusqu’à son prénom, elle s’en éprend sagement, prudemment, à distance :

Sa présence m’éclaire. Comme si je savais, par expérience peut-être, que ce qui est en train de se former est le commencement de la fin, parce que jamais je ne pourrai supporter plus de quelques instants, plus de quelques secondes, l’intensité de ce qui s’annonce, bien que rien encore ne soit révélé, sinon, peut-être, tout au plus, un signe prémonitoire.

Dans un quotidien fait de solitude et de lutte contre la poussière, cet homme trouve sa place. Il est une présence douce, éphémère et familière – il rappelle à la narratrice son père et sa sœur dont le lecteur apprendra rapidement et allusivement qu’ils sont décédés. Le laveur de vitre est sûr de lui, de ses choix et de sa simplicité. Bien plus, en miroir de la narratrice, lui aussi habite la solitude, mais avec sérénité :

Je sens qu’il est ce qu’il veut. Il aime l’amer de la solitude. C’est elle qui nous relie.

L’intrigue amoureuse à peine esquissée qui donne son titre au récit n’est pourtant qu’un prétexte. Laurence Skivée en dénoue rapidement les nœuds pour s’attaquer à ce qui apparait être le véritable sujet du livre : l’écriture et la libération par l’écriture. En effet, l’écriture, comme le chiffon qui entraine la main de la narratrice est un outil de nettoyage du monde et de la pensée :

Mon travail m’absorbe.
Les mains libres. J’écris. Je dessine. Je photographie. Comme souvent. Je range le désordre. Je vérifie. Comme toujours.

Toujours sue par le lecteur, la propension de la narratrice à se livrer au travers de l’écriture explose dès l’instant où se brise l’intrigue amoureuse, sortant la narratrice de ses habitudes et de son quotidien pour la mettre face à ses manques et à ses absents. Les morts qui parsèment sa vie se réveillent du long sommeil où elle les avait plongés. La voilà libre de s’investir dans un processus d’acceptation et de réparation. C’est ainsi qu’elle écrit accompagnée de ses morts et, paradoxalement, parvient à les tenir à distance.

Traitée en profondeur et avec subtilité, la thématique du deuil se nourrit des longs silences que l’autrice laisse sur chaque page. Les mots filent, laconiques, abrupts et télégraphiques, sans prendre le temps d’habiller le papier. Bien que nu, ce dernier traduit une pudeur de la narratrice à se livrer et la froideur du monde dans lequel elle évolue.

Patrick Devaux in : https://www.areaw.be/laurence-skivee-le-laveur-de-vitres-recit-editions-la-lettre-volee-170-pages-23-euros/
http://www.lelitteraire.com/?p=87507

Dans ce récit Laurence Skivée ramène autrui à ses propres vérités, se confondant au mouvement, aux gestes : « Ses gestes appris s’ancrent en moi, suspendu ».
C’est que le « laveur de vitres » a un objectif déterminé à clarifier, purifier peut-être.
La réflexion du vécu se confond avec le mouvement d’un tiers par le biais d’un chiffon tandis qu’une sorte de jouissance de la solitude positive (celle choisie) s’opère avec la lente poussière du temps qui se dépose.
S’opère une maïeutique de l’instant décanté en réflexions avec la prise de conscience du « soleil qui tourne autour de nous » tel l’éternel retour sans toutefois briser le cercle enchanté mis en place.
L’auteure se dit « naturellement inspirée ».
On la croit sur parole…écrite…avec cet instinct inné de pouvoir communiquer presque sans oralité ce qui n’étonnera pas quand on a déjà pu remarquer sa conception spatiale et graphique.
Être admiré sans le savoir ajoute de la beauté à « la main (qui) rayonne alors et fait de lui l’un des laveurs de vitres les plus difficiles à comprendre sous la simple apparence ».
Se dégage de ce « laveur de vitres qui chante » un instant magicien : « Il est passeur, il est une apparition » alors que Laurence, elle, se fait prestidigitatrice des mots.
L’effet forcément transparent avec le frotté du va-et-vient et l’aller-retour du laveur accentue la sensualité de la pensée à se convaincre de l’absolu moment alors que se pose la question essentielle de « vivre (je vis) un (cet) amour en le perdant ».
Partout où passe Laurence se pose, je crois, la question de l’espace où elle se trouve et ce qu’elle y fait.
Contrairement à une apparente nonchalance, c’est au contraire très actif.
Chiffon à la main, la force du vécu révèle un vécu fraternel : « Je comprends à travers le laveur de vitres que ma sœur je l’ai aimée et qu’elle m’a aimée. C’est beau » tandis que le mental résulte parfois de la résonance des pas.
En initiales, un écho répond en italiques : « continuez d’explorer » tandis que les êtres vécus profondément remontent à la Surface : « Oui ; ici ; peu de jours sans oiseau, sans le visage retrouvé de ma sœur, de mon père. Oui, c’est comme ça, avec ou sans écriture ».
Dans ce livre où les mots non utilisés sont pensés à haute voix, la prise de conscience des vécus a plus d’un tour (de chiffon) dans son sac alors que certains mots activent leur contraire : « Quand j’ai fini les mots me quittent. Ils vont vivre avec un autre ».
Effectivement. Et…la lectrice, le lecteur…époussètent à leur tour !

Jean-Paul Gavard-Perret in : http://www.lelitteraire.com/?p=87507
"Se tenir aux carreaux"

Laurence Ski­vée offre une auto­bio­gra­phie à sa manière, à savoir subli­mée par sa sim­pli­cité et la qua­lité de l’écriture. Le titre semble trom­peur avec sa mas­cu­li­nité.
Mais le “je” le dyna­mite et lorsque l’auteure écrit : “Je viens d’une famille maniaque. Tous les same­dis matin, j’avais droit à la loque à pous­sière sur la clenche de la porte de ma chambre. J’époussetais pen­dant que ma mère net­toyait le salon : je fai­sais le haut, elle fai­sait le bas. Une fois par mois, je pre­nais les pous­sières à fond, bien dans les coins. Les plinthes, les inter­rup­teurs, les fils, tout y pas­sait. Après l’effort, je regar­dais Pause-café. Je cra­quais pour Véro­nique Jan­not. Je vou­lais deve­nir assis­tante sociale…”, le doute n’est plus permis.

À par­tir de là se créent une belle évo­ca­tion d’une enfance et l’histoire d’une vie. La native d’Alleur — petit vil­lage proche de Liège — offre un cor­pus poé­tique déli­cat où se retrouve le loin­tain qui rede­vient proche au sein de don­nées “objec­tives” du réel dis­sé­mi­nées en frag­ments d’images où temps passé déborde impli­ci­te­ment vers le pré­sent d’un bel aujourd’hui vivace.

Laurence Ski­vée retient et libère sa vie en une suite de formes aussi simples qu’altières. Un tel mini­ma­lisme — preuve de pudeur poé­tique — ramène à celle qui “a fini artiste” et écri­vaine. Et qui a trouvé dans de telles acti­vi­tés le moyen d’éviter les horaires, la foule. Cela lui per­met de flâ­ner, mar­cher et vivre certes chi­che­ment mais selon un “riche par­cours”.
Que la créa­trice vende peu, cela lui importe peu : elle offre faci­le­ment et adore envoyer “des petits for­mats à l’occasion d’anniversaires, de fêtes de Noël et autres.” Et la forme du livre devient l’assemblage de moments, leur avant et leur après, leur avan­cée et leur recul. Cela peut s’appeler Eden ou enclos. L’artiste y noue des entre­lacs. La lumière efface toute ombre en embras­sant l’espace afin de créer une poé­sie capable de fomen­ter une étrange fas­ci­na­tion par humilité.

Rien ne se perd du passé et de ses émois dans ce livre du pré­sent là où ” le laveur de vitres m’accompagne. Il nous accom­pagne. Pour un temps, j’imagine.” dit-elle. Oui, peut-on lui répondre ; de la sorte “ça suit son cours” comme disait Beckett. Et ce que le texte rameute de déper­di­tion, dans le même mou­ve­ment il le ramène.
Le livre devient une médi­ta­tion et une exal­ta­tion unis­sant un mou­ve­ment de dila­ta­tion à celui de la concen­tra­tion. Il lie l’infime à l’immense, loin de tout effet spec­ta­cu­laire en de sub­tiles harmonies.

Reste à s’abîmer en un tel net­toyage. Entre le laveur de vitre et l’écrivaine il n’y a donc rien de “chif­fon” même si les deux avec un tel tex­tile et cha­cun à leur façon font le ménage de la mai­son de l’être. Ils s’arrangent pour tenir en équi­libre : épous­se­ter doit inté­grer le fait de ne pas tom­ber.
Le cas échéant, il faut savoir se rele­ver — ce qui reste le pri­vi­lège des humbles. A la pos­ses­sion de choses, ils pré­fèrent la lumière qui tombe sur elles, même lorsque le ciel est encombré.

Louise Valin in : http://karoo.me/livres/le-laveur-de-vitres-de-laurence-skivee-une-solitude-partagee?fbclid=IwAR3tPj5v936zpGVkxpaK-_bBqgCfsuuoYPbjwxprEpQmeqpNvxiEKH3R0mE

Une solitude partagée : C’est à la première personne que Laurence Skivée nous emmène dans un fragment de sa vie. Le Laveur de vitres est un récit intime ponctué d’anecdotes. On l’accompagne sur son chemin de deuil où l’écriture devient indispensable.

Artiste et auteure originaire de Liège, Laurence Skivée présente ici son troisième livre aux éditions La Lettre volée. Le Laveur de vitres est un ouvrage à lire d’une traite et à plusieurs reprises pour en saisir pleinement le sens et les subtilités. L’écrivaine y propose une poésie singulière, au service de ses émotions. On pourrait croire à un carnet de notes trouvé dans la rue et dont nos yeux ne peuvent s’empêcher de lire quelques lignes. Elle nous laisse pénétrer dans ses réflexions, ses vulnérabilités et ses incertitudes les plus profondes.

Son récit adopte une narration simple et classique au début, mais c’est à nous d’en recoller les morceaux, car l’histoire s’effrite au fil des pages. Évoquant d’abord son enfance pour poser le contexte, elle en vient finalement au cœur du sujet : le laveur de vitres. Ce personnage simple et inattendu se révèle la clé du chemin de deuil de l’artiste, qui a perdu son père et sa sœur. Nous restons alors spectateurs de ses différentes phases de déni, de colère, d’indifférence, de tristesse puis finalement d’acceptation, dans lesquelles le laveur de vitres va et vient. Le fond et la forme de l’ouvrage témoignent tous deux de ces étapes stratifiées. En effet, Le Laveur de vitres a la particularité de ne présenter qu’un seul paragraphe par page, laissant le blanc du papier nous envahir entre chaque intervention écrite. Cette mise en page induit la forme du journal de bord dans lequel l’auteure aurait griffonné chaque jour ses principales préoccupations. Au fil de la lecture, on perçoit clairement les différentes étapes : le texte devient de plus en plus confus et abstrait, frôlant parfois l’absurde, pour se résoudre et se clarifier à la fin. On croit d’abord à un récit partiellement ancré dans la réalité, mais elle se tord, se déforme et sonne finalement comme un rêve. Cette dimension onirique se révèle dans la syntaxe des phrases hors des normes, l’utilisation d’un vocabulaire sensoriel et la récurrence d’éléments symboliques comme le chiffon, l’oiseau, les nuages, la terre, le soleil ou le ciel. Ces drôles de personnages reviennent sans cesse, comme une incantation chamanique. Laurence Skivée l’évoque elle-même, elle se sert de l’écriture comme thérapie. C’est un moyen pour elle de se vider :

« J’écris comme si je résistais. [...] L’écriture me protège. [...] Quand j’ai fini, les mots me quittent. Ils vont vivre avec un autre. »

Cette introspection n’empêche pas l’implication du lecteur. Ces fameux vides entre chaque paragraphe laissent toute la place à nos propres sentiments. En se perdant dans les pages, on se perd dans nos pensées, et les mots nous y portent. Les phrases courtes, incisives et la ponctuation très présente accompagnent graduellement cette escapade. Le texte devient cathartique pour nous aussi. Certaines formules, utilisant des mots pourtant simples, sont isolées et répétées pour devenir choc et résonner en nous :

« On lave pour effacer quoi ? »
« Je m’accroche aux nuages. »
« Plus rien de lui n’est là que cette absence flottante. »
« J’apprends. Tout ce qui ne s’apprend pas : la solitude, l’indifférence, la patience, le silence. »

L’auteure leur apporte ainsi du volume, de l’ampleur et une portée mystique. Son texte regorge d’ailleurs de figures de style. Allégories, asyndètes, antithèses, oxymores, anaphores, épiphores ou encore comparaisons enrichissent ses écrits avec des formules comme « Nos yeux fondent », « Je hurle sa jeunesse. », « Avec le temps, une sérénité sans lassitude s’inscrit au coin de nos lèvres. » ou « Chaque journée est faite de silences et de bruits, de lumières et de noirs » Elle sait manier la langue et ses effets.

De plus, l’auteure nous confronte parfois à des choix visuels singuliers. Le sens de lecture n’est pas toujours évident et peut être déstabilisant. Une mise en page ambiguë nous amène à croiser des phrases dans tous les sens, y trouvant alors une signification nouvelle. Laurence Skivée s’amuse même à répéter des mots sur l’entièreté d’une page afin de créer un motif, complété par un jeu de mots. Elle fait jouer notre regard pour nous emmener plus loin que la simple lecture des mots dans leur sens premier. Laurence Skivée s’amuse, mais elle pourrait le faire encore davantage. Insister sur ce jeu graphique et l’exploiter pourrait donner une autre saveur et une autre dimension à ses propos.

Le Laveur de vitres est une tranche de vie racontée dans un langage brut et primitif, une période de deuil condensée en quelques centaines de phrases. La prouesse est belle, mais il faut rester accroché à un univers insolite parfois déconcertant. Cet ouvrage hors des normes propose néanmoins une respiration. Chaque mot est pesé, devenant symbole. Nous entrons dans la tête de Laurence Skivée, et nous sommes heureux d’assister à sa guérison.

« Le jour se lève. »